Point de vue

La propriété industrielle à l'Université,

ou comment faire du privé avec du public

 

 

Le discours sur l'innovation

La politique actuelle de recherche et le discours dominant placent l'innovation au cœur de la science : l'ancienne idée de progrès est abandonnée au profit du développement de l'économie et du profit. Ceux qui osent poser la question de la finalité de cette science dédiée à l'économie se voient immanquablement taxés de "conservatisme", voire même accusés de concourir à la progression du chômage, alors que c'est en fait l'organisation économique de la société qui en est seule responsable. Cette logique est cependant partielle, car elle refuse de prendre en compte les effets écologiques et sociaux de cette marche forcée. Une polémique récente sur la transmission des gênes modifiés à certaines bactéries montre que les études sur le danger des OGM ont eu lieu APRES leur mise sur le marché, révélant la primauté des aspects économiques sur les problèmes de santé publique. Dans ce contexte, les scientifiques, tout comme les autres travailleurs, sont contenus dans un rôle subalterne de production sans but social, qui renforce l'emballement d'une économie dont on devrait pourtant légitimement se demander ce qu'elle sert.

Le système des brevets

Les défauts du système économique en vigueur, dans ses relations avec la recherche, se trouvent accentués par le brevet, qui nécessite des infrastructures financières et juridiques importantes pour être défendu. Cette arme ne peut véritablement être utilisée que par les monopoles qui s'en servent pour se renforcer en éliminant la concurrence. Le directeur de l'Institut du management de la recherche et de l'innovation de l'Université Dauphine notait dans Le Monde du 30 mai 2000 : " La privatisation de l'activité de connaissance menace de bloquer l'innovation. … Aujourd'hui, des P.M.E. abandonnent des champs entiers de l'innovation technologique lorsqu'elles s'aperçoivent que de grandes firmes les ont encombrés de brevets ". Ainsi, ROUSSEL-UCLAF, après avoir découvert une molécule utile au traitement du cancer du sein et avoir estimé sa commercialisation non rentable, a empêché sa diffusion auprès des principales intéressées parce qu'un brevet avait été déposé. Le même article mentionne que " ce mouvement procède de la privatisation croissante de l'activité de la connaissance. Ce qui appartenait auparavant au "bien public" devient aujourd'hui de plus en plus souvent régulé par le marché. … La commercialisation de la recherche et plus particulièrement le système du brevet, autrement dit la protection privée de la découverte, vont à l'encontre de tous les bénéfices d'une science ouverte, liés à la circulation rapide et libre de la connaissance : l'accumulation et la recombinaison des savoirs, mais aussi le contrôle collectif d'une recherche, difficilement compatibles avec la confidentialité requise par un contrat industriel. "

Fonctionnariat et Stock-options pour les uns, soumission et précarité pour les autres

Ce mouvement de privatisation qui avance en stigmatisant les "privilèges" des fonctionnaires a récemment pris la forme de la loi sur l'innovation et la recherche. Autorisant les universités à héberger des entreprises, elle autorise les fonctionnaires de la recherche à participer à la valorisation industrielle de leurs résultats, et les établissements à embaucher sur CDD et CDI, les dégageant de l'obligation de verser des cotisations chômage sur budget propre. La France est à l'avant garde de ce mouvement, une grande université américaine comme Harvard s'apprêtant à développer l'actionnariat de ses chercheurs dans des entreprises valorisant leurs résultats ( Le Monde du 3 juin 2000 ). A l'inverse de ce que "dénonçait" le discours dominant, ce "dispositif" renforce donc les avantages de certains cadres de la fonction publique tout en développant de nouvelles catégories de personnels précaires. Dans le contexte actuel de désengagement de l'Etat, ces nouveaux "fonctionnaires d'affaires" verront leurs pouvoirs renforcés en fonction de l'importance des crédits que la tutelle leur accordera pour l'innovation, d'autant plus que la mobilité dans le privé tend à devenir un critère de promotion pour les chercheurs et universitaires. L'activité de ces "administrateurs de la science" s'exercera inévitablement au détriment de la mission de production des savoirs publics. Le renforcement des pouvoirs de ces nouveaux "managers", conjointement à une précarité accrue, donnera naissance à une recherche sous contrôle, définitivement complice d'un développement économique sans but, dont les récents scandales de santé publique donnent une pâle idée du fonctionnement qu'il nous réserve.

 

Renversons la vapeur !

Les canuts de la Halle aux vins

SUD Education P6-P7-CNRS,

le 5 juin 2000